Le Conseil de l'Europe est une organisation différente de l'Union Européenne. Elle comprend notamment une Assemblée et une Cour de justice, qui est la Cour Européenne des Droits de l'Homme. C'est donc un recours important pour défendre les droits des personnes handicapées.
Le 27 mars 2024, s'est tenue à Strasbourg, la Conférence à haut niveau « De l'aliénation mentale ».
L'ONG norvégienne "We Shall Overcome" constituée d'usagers et survivants de la psychiatrie a été empêchée de s'exprimer et renvoyée de la Conférence où elle était pourtant invitée à présenter des notions fondamentales pour comprendre et aborder le sujet des droits des personnes.
Le Collectif "Abolir la psychiatrie forcée", constitué d'usagers et survivants francophones de la psychiatrie, témoigne sa complète solidarité avec "We Shall Overcome". Nous déplorons cet acte de censure et d'exclusion. "We Shall Overcome" est une organisation clé engagée dans la défense des droits des personnes avec handicap psychosocial. La censure est inacceptable.
Nous demandons que l'expression des vues et des arguments légaux développés par cette organisation et par toute organisation de personnes handicapées souhaitant s'y exprimer trouve sa place dans les évènements du Conseil de l'Europe, dans le respect mutuel des opinions diverses.
Cette censure est d'autant plus dommageable, et une occasion manquée de dialogue, que le texte de la Convention Européenne des Droits de l'Homme nous apparait obsolète, et rédigé dans des termes qui utilisent le langage de la discrimination et des préjugés, quand l'article 5.1.e dénie les droits des personnes supposément "aliénées", en ignorance des notions de droit des personnes handicapées et de modèle social du handicap basé sur les droits de l'homme, telles qu'elles sont définies dans la Convention ONU CDPH, et soulignées par les Directives et Observations Générales du Comité de cette Convention.
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La déclaration de l'ONG "We Shall Overcome" est en anglais en suivant ce lien:
https://wso.no/2024/03/survivours-of-psychiatry-silenced-at-council-of-europe-high-level-conference/Voici une traduction en français de la déclaration de l'ONG norvégienne. On peut aussi la télécharger en suivant ce lien.
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Strasbourg 27 mars 2024
Concernant la Conférence à
haut niveau « De l'aliénation mentale » : approches conformes à
la Convention pour l'exécution des arrêts concernant la détention
et le traitement involontaires pour des raisons de santé mentale.
« We Shall Overcome »
(WSO) est une ONG norvégienne créée en 1968 et gérée par et pour
les usagers et les survivants de la psychiatrie. WSO défend les
droits de l'homme des usagers et des survivants de la psychiatrie, la
mise en œuvre de la CDPH des Nations unies et la fin des pratiques
psychiatriques forcées et autres violations par les institutions de
santé mentale. WSO travaille à la fois au niveau national et
international.
« We Shall Overcome »
a été invitée à s'exprimer lors de la conférence du Conseil de
l'Europe sur les traitements psychiatriques forcés et la détention
à Strasbourg le 27 mars 2024.
Après avoir envoyé notre
présentation de la conférence aux organisateurs, on nous a d'abord
demandé, la veille de la conférence, de la réécrire, puis on nous
a dit de « rentrer chez nous ». Les organisateurs n'ont
pas approuvé ce que nous allions dire. Nous trouvons tout à fait
inacceptable d'être censurés et exclus d'une conférence sur les
droits de l'homme qui nous concerne, au motif que nous faisons la
promotion de nos droits pleins et égaux sans restrictions.
Dans un forum tel que le
Conseil de l'Europe, nous ne pouvons accepter de restreindre ce que
nous disons dans la mesure où cela compromettrait notre position et
porterait atteinte à nos droits de l'homme et libertés
fondamentales. Nous ne pouvons accepter que notre liberté
d'expression, notre liberté de pensée, de conscience, de croyance
et d'opinion soient restreintes lors d'une conférence sur les droits
de l'homme, quand nous nous exprimons au nom de certaines des
personnes les plus opprimées et les plus marginalisées d'Europe.
Dans une conférence comme
celle-ci, il doit y avoir de la place pour souligner où nous allons
et ce qui doit changer. Nous espérons que ce sera l'occasion de
réfléchir, d'écouter ceux d'entre nous qui ont survécu au système
psychiatrique forcé et de commencer à ouvrir une voie nouvelle et
meilleure où nous n'aurons plus à craindre la coercition et
l'oppression psychiatriques, mais où nous pourrons vivre avec les
mêmes droits et les mêmes libertés que les autres.
Nous espérons que le Service
de l'exécution des arrêts de la Cour européenne jugera utile
d'entendre une pluralité de points de vue sans censure lors des
prochaines réunions.
Soyez solidaires avec nous.
Rien sur nous sans nous.
"We shall overcome"
signifie "Nous surmonterons."
Voici la présentation qui a
été annulée un jour avant la conférence.
Vous pouvez télécharger la
présentation en pdf ici (en anglais).
https://wso.no/wp-content/uploads/2024/03/Strasbourg-27-March-2024_HegeOrefellen_final.pdf
Strasbourg, 27 mars 2024
« De l'aliénation mentale »
:
approches conformes à la
Convention pour l'exécution des arrêts
concernant la détention et le
traitement involontaires pour des raisons de santé mentale
Un besoin urgent de recours
et de réparations efficaces.
Hege Orefellen - "We
shall overcome"
Je vous remercie de m'avoir
invité à m'exprimer sur ce sujet important.
1. Tout d'abord, je ferai
quelques réflexions sur le thème général de la conférence
a) « De l'aliénation
mentale »
L'expression « un aliéné »
- A quoi cette expression est-elle associée ? Stigmatisation ?
Préjugés ? Arbitraire ? Oppressions ? Comment se fait-il qu'un
traité relatif aux droits de l'homme contienne encore un langage et
une base de détention aussi inacceptables ?
Je pense que nous sommes tous
d'accord pour dire que l'expression « un aliéné » est obsolète
et ne peut pas être conservée. En outre, la Convention des Nations
unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) exige que
la privation de liberté ne soit pas fondée sur le handicap. Or, la
notion d'« aliénation mentale » vise les personnes souffrant de
handicaps psychosociaux, ce qui conduit à une privation de liberté
spécifique et discriminatoire pour ce groupe.
b) « approches conformes à
la Convention pour l'exécution des arrêts »
Les approches conformes à la
Convention doivent non seulement être conformes à la Convention
européenne, mais aussi aux normes applicables du droit
international. La CDPH, en tant que traité international le plus
récent et le plus spécialisé sur les droits des personnes
handicapées, juridiquement contraignant dans 191 pays, fournit des
orientations faisant autorité sur les normes à appliquer. Les 46
États membres du Conseil de l'Europe et l'Union européenne sont
membres états partis de la CDPH. Les États devraient mettre en
œuvre la Convention européenne et la jurisprudence de la Cour de
manière à ne pas enfreindre leurs obligations au titre de la CDPH.
c) « Détention et
traitement involontaires pour des raisons de santé mentale »
Les personnes avec handicaps
psychosociaux ont été particulièrement exposées à une
législation et à des pratiques paternalistes restreignant le droit
à l'autodétermination. Il s'agit notamment de la législation
autorisant les traitements forcés, la détention pour des raisons de
santé mentale et d'autres pratiques non consensuelles. Ces
interventions violent le droit à la capacité juridique dans des
conditions d'égalité, à la liberté et à la sécurité, au
respect de l'intégrité physique et mentale, au consentement libre
et éclairé aux procédures médicales et à l'absence de mauvais
traitements. La CDPH énonce le droit de toutes les personnes
handicapées à prendre leurs propres décisions et à contrôler
leur propre vie sur la base de l'égalité avec les autres.
2. Deuxièmement, je
commenterai les meilleures pratiques de la Cour européenne et du
Conseil de l'Europe, ainsi que le potentiel de développement
nécessaire.
En 2015, le juge Paulo
Pinto de Albuquerque a donné une opinion dissidente progressiste et
importante (en partie) à la Cour européenne sur le droit à la
liberté, dans l'affaire Kuttner c. Autriche. Le juge Pinto identifie
les normes internationales applicables ;
« L'arrestation, la détention
ou l'emprisonnement fondés sur le handicap constituent une violation
de l'article 14, paragraphe 1, point b), de la Convention relative
aux droits des personnes handicapées.
« Les privations de liberté
fondées sur l'existence d'un handicap sont intrinsèquement
discriminatoires. Les régimes de détention qui, par leurs propres
termes, sont discriminatoires sur la base du handicap constituent une
détention arbitraire. La détention involontaire de personnes
handicapées fondée sur des présomptions de risque ou de
dangerosité liées à des étiquettes de handicap est contraire au
droit à la liberté ».
Le juge Pinto conclut qu'il
est maintenant grand temps d'agir et de réformer le cadre juridique
et institutionnel déficient conformément aux obligations
internationales de l'État.
En 2019, dans l'arrêt
de Grande Chambre Rooman c. Belgique, la Cour considère que «
l'article 5, tel qu'il est actuellement interprété, ne contient pas
d'interdiction de la détention pour cause de déficience ». Cela
ouvre la voie à une évolution nécessaire. L'abandon du modèle
médical du handicap et l'alignement sur la CDPH modifieront l'«
interprétation actuelle ». L'article 5 devrait être interprété
comme contenant une interdiction de la détention fondée sur la
déficience, considérant cette détention comme illégale,
arbitraire et discriminatoire.
Dans l'affaire Rooman c.
Belgique (2019) et dans l'affaire M.B. c. Pologne (2021), la Cour
reconnaît les normes de la CDPH et cite les lignes directrices
relatives à l'article 14 de la CDPH et à son interdiction absolue
de la détention fondée sur la déficience ou l'état de santé.
En 2019, un
développement significatif signalant les prémices d'un changement
de paradigme au sein du Conseil de l'Europe a été pris par
l'Assemblée parlementaire avec l'adoption unanime d'une Résolution
qui appelle les Etats membres à mettre fin à la coercition dans le
domaine de la santé mentale et à entamer immédiatement la
transition vers l'abolition des pratiques coercitives (...).
En 2021, le Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a résumé sa position
dans un commentaire sur les droits de l'homme et a fait une
intervention inédite dans l'affaire Clipea et Iapara c. la
République de Moldova. L'affaire concerne des allégations de
mauvais traitements infligés à des personnes souffrant de handicaps
psychosociaux dans un hôpital psychiatrique.
Dans l'amicus à la Cour, le
Commissaire aux droits de l'homme déclare que les Commissaires
successifs ont constamment souligné que l'institutionnalisation et
la coercition dans les services de santé mentale étaient une source
persistante de violations des droits de l'homme et ont exhorté les
États membres à éliminer ces pratiques en faveur de services de
santé mentale communautaires fondés sur le consentement. Le
Commissaire plaide pour l'élimination du placement et du traitement
involontaires, de l'isolement et de la contention.
Le Comité de la CDPH ne
reconnaît aucune exception à l'interdiction absolue du traitement
forcé, y compris pour des motifs tels que le « risque de préjudice
pour soi-même » ou le « danger pour autrui ». Le Commissaire
souligne le fait que d'autres acteurs clés au niveau des Nations
Unies approuvent et soutiennent la même approche, notamment le
Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées et le
Rapporteur spécial sur le droit à la santé. Ces experts ont
souligné que « l'admission forcée dans les institutions médicales
et les traitements coercitifs dans les institutions auront des effets
néfastes tels que la douleur, le traumatisme, l'humiliation, la
honte, la stigmatisation et la peur pour les personnes avec des
handicaps psychosociaux ».
Le Commissaire aux droits de
l'homme considère que la conception traditionnelle selon laquelle le
traitement forcé et la coercition sont inévitables en « dernier
recours », à condition qu'un certain nombre de garanties juridiques
entourent ces mesures, n'est plus tenable.
3. Troisièmement, je
parlerai de la nécessité urgente de mettre en place des recours et
des réparations efficaces
De graves violations des
droits de l'homme sont commises dans les établissements de santé
mentale. La privation de liberté peut en soi être préjudiciable.
La détention à durée indéterminée est particulièrement dure et
couramment pratiquée à l'encontre des personnes avec des handicaps
psychosociaux. Les pratiques médicales violentes telles que les
électrochocs forcés, les médications forcées, la contention et
l'isolement ne constituent pas une aide ni des soins, et n'ont pas
non plus de but légitime. Elles constituent des pratiques
discriminatoires et préjudiciables qui peuvent causer des douleurs
sévères et des souffrances intenses, ainsi qu'une peur et un
traumatisme profonds chez les victimes. Ces interventions
psychiatriques forcées répondent à la définition internationale
de la torture et peuvent causer des dommages irréparables à la vie
et à la santé.
Dans un rapport présenté en
2020, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a
déclaré que : « il faut souligner que des objectifs prétendument
bienveillants ne peuvent, en soi, justifier des mesures coercitives
ou discriminatoires. Par exemple, des pratiques telles que
l'intervention psychiatrique [...] involontaire fondée sur la «
nécessité médicale » ou l'« intérêt supérieur » du patient,
impliquent généralement des tentatives hautement discriminatoires
et coercitives de contrôler ou de « corriger » la personnalité,
le comportement ou les choix de la victime et infligent presque
toujours une douleur sévère ou des souffrances aiguës. De l'avis
du rapporteur spécial, si tous les autres éléments de définition
sont réunis, ces pratiques peuvent donc bien être assimilées à de
la torture.
Le Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe considère que le recours à la
coercition en psychiatrie, y compris l'utilisation de moyens de
contention mécaniques ou chimiques, l'enfermement, l'isolement et la
médication forcée, devrait toujours être considéré comme
atteignant le niveau minimum de gravité pour entrer dans le champ
d'application de l'article 3 de la Convention européenne, compte
tenu de la peur intense, de l'angoisse, du sentiment d'impuissance,
de la perte de dignité et d'autres souffrances mentales qu'ils
provoquent invariablement. Le Commissaire déclare que les personnes
souffrant de handicaps psychosociaux subissent régulièrement
certaines des violations des droits de l'homme les plus flagrantes
sur notre continent, y compris des violations de l'article 3.
Il est urgent de reconnaître
la gravité des préjudices et des souffrances infligés aux
victimes, et que cette connaissance et cette prise de conscience
soient mises en œuvre dans tous les systèmes judiciaires. Ces
interventions forcées, qui comportent toujours un facteur de
discrimination fondée sur le handicap, doivent être reconnues comme
des mauvais traitements et être abolies. Compte tenu des violations
graves et systématiques des droits de l'homme, il est urgent
d'offrir aux victimes des recours et des réparations efficaces. Mais
il y a des obstacles ;
Nous connaissons le cadre des
droits de l'homme concernant la torture et les autres mauvais
traitements : l'interdiction absolue, l'obligation pour les États de
protéger contre la torture, l'obligation d'enquêter sur les
allégations et de donner réparation aux victimes. Mais lorsque les
mauvais traitements sont perpétrés au nom d'un traitement médical,
autorisé par la législation nationale et appliqué par le droit
national, il n'y a pas de véritable protection ni d'accès à la
justice. Les recours nationaux sont systématiquement défaillants et
il est peu probable qu'ils apportent une aide efficace. Il n'y a pas
de réparation pour les victimes, ni de responsabilité pour les
auteurs. Les mauvais traitements restent impunis. Nous sommes réduits
à l'impuissance entre les mains de professionnels de la santé qui
ont reçu le pouvoir de nous priver de nos droits humains
fondamentaux. Telle est la situation à laquelle les survivants de la
psychiatrie forcée sont confrontés en Europe aujourd'hui.
Selon les Principes
fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à
réparation des victimes de violations flagrantes du droit
international des droits de l'homme, adoptés par l'Assemblée
générale des Nations unies dans sa résolution 60/147 (2005), la
réparation comprend cinq formes de réparation : la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties
de non-répétition. Toutes ces formes sont d'une grande importance
pour les victimes de mauvais traitements dans le système de santé
mentale.
La restitution, une
forme de réparation visant à rétablir la situation de la victime
avant que la violation ne soit commise, doit comprendre le
rétablissement de la liberté, l'absence de traitement forcé, la
jouissance de la vie familiale et de la citoyenneté, le retour au
lieu de résidence et le rétablissement de l'emploi.
Une indemnisation doit
être prévue pour tout dommage économiquement évaluable, tel que
les dommages physiques ou mentaux, les occasions perdues, y compris
en matière d'emploi et d'éducation, les dommages matériels et le
manque à gagner, le préjudice moral et les coûts liés à
l'assistance juridique, aux services médicaux et aux services
sociaux.
La réadaptation des victimes
de la psychiatrie forcée devrait viser à rétablir, dans la mesure
du possible, leur indépendance, leurs capacités physiques,
mentales, sociales et professionnelles, ainsi que leur pleine
inclusion et participation à la société.
La satisfaction doit
inclure des mesures efficaces visant à faire cesser les violations ;
la vérification des faits et la divulgation publique de la vérité
; une déclaration officielle ou une décision judiciaire
rétablissant les droits de la victime ; des sanctions à l'encontre
des personnes responsables des violations ; une enquête et des
poursuites pénales, des excuses publiques, y compris la
reconnaissance des faits et l'acceptation de la responsabilité.
Le droit à la vérité est
particulièrement important pour les victimes de la psychiatrie
forcée, où des mauvais traitements ont été infligés pendant si
longtemps et à si grande échelle sous le couvert d'un traitement
médical. Nous avons besoin de vérité sur ce qui nous est arrivé,
de vérité sur les conséquences, de reconnaissance publique et
d'excuses, comme première étape d'un processus de réintégration
sociale, de justice et de guérison. Étant donné que les pratiques
coercitives en matière de santé mentale représentent des formes de
violence à l'encontre des personnes avec des handicaps psychosociaux
et autres, il est nécessaire d'obtenir des réparations à un niveau
collectif aussi bien qu'individuel. Les États parties devraient
élaborer des procédures de réparation pour toutes les victimes
d'interventions psychiatriques forcées.
Les garanties de
non-répétition doivent inclure des mesures de lutte contre
l'impunité, de prévention des actes futurs, ainsi que la révision
et la réforme des lois contribuant à ces violations ou les
autorisant. Les États parties doivent reconnaître l'obligation
immédiate de mettre fin aux mauvais traitements infligés dans le
cadre d'interventions psychiatriques forcées, prendre les mesures
nécessaires pour abroger la législation qui autorise le traitement
psychiatrique forcé et la détention, et élaborer des lois et des
politiques qui remplacent les régimes coercitifs par des services
qui respectent pleinement l'autonomie, la volonté et l'égalité des
droits des personnes handicapées.
Des ressources précieuses sur
les réparations peuvent être trouvées dans les lignes directrices
du Comité de la CDPH sur la désinstitutionnalisation et dans
l'article de Tina Minkowitz sur la désinstitutionnalisation en tant
que justice réparatrice.
4. Enfin, je dirai quelques
mots sur la voie à suivre et sur la manière dont les principes de
non-discrimination et les normes de la CDPH peuvent, et doivent, nous
guider dans tout le travail de mise en œuvre
La voie à suivre ne peut être
occupée par des réformes superficielles qui ne s'attaquent pas au
problème central de la discrimination fondée sur le handicap et de
la médicalisation des handicaps psychosociaux. Il n'est pas
nécessaire de consacrer plus de temps et de réflexion à la «
précision et à la nuance » dans des questions telles que la «
signification de l'aliénation mentale », les exigences des «
options les moins restrictives », le « dernier recours » ou la «
garantie dans les différentes formes de contrainte ».
Les droits de l'homme dans ce
domaine ne sont pas des droits limités dans le cadre d'un modèle
médical paternaliste. Il ne s'agit pas d'interventions forcées
assorties de garanties d'une procédure régulière et de garanties
contre les abus dans les processus. Il s'agit de droits pleins et
égaux dans un cadre de droits de l'homme, où tous les traitements
et services de santé mentale doivent être fondés sur le
consentement libre et éclairé de la personne concernée.
La voie à suivre passe par
des changements fondamentaux et des solutions réelles et
significatives. Il s'agit de lutter contre la discrimination et
d'abroger les dispositions législatives discriminatoires. Il s'agit
de mettre fin aux violations actuelles et de réparer les erreurs
passées.
La Convention européenne est
un instrument vivant qui doit s'aligner sur les normes
internationales en matière de droits de l'homme. Cela nécessitera
un changement fondamental d'approche dans ces affaires, mais la Cour
peut y parvenir et l'a déjà fait par le passé. La Cour a toujours
souligné que la Convention doit être interprétée à la lumière
de l'évolution de la société, ce qui signifie qu'elle a modifié
et ajusté sa pratique dans divers domaines du droit.
Les droits des personnes LGBT+
sont l'un des domaines qui ont connu une évolution significative
dans la jurisprudence de la Cour. Depuis 1986, date à laquelle les
États se sont vu accorder une grande marge d'appréciation dans
l'affaire Rees c. Royaume-Uni, la Cour a envisagé de s'écarter des
principes antérieurs en 1990 et 1992 dans les affaires Cossey c.
Royaume-Uni et B c. France, elle a ouvert la voie à des changements
futurs en 1998 en soulignant « l'acceptation sociale croissante »
et « la reconnaissance accrue du problème » dans les affaires
Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, puis elle s'est finalement
écartée de sa jurisprudence antérieure en 2002 dans l'affaire
Goodwin c. Royaume-Uni. Dans cet arrêt, la Cour attache moins
d'importance à l'absence de preuves d'une approche européenne
commune qu'aux preuves claires et incontestées d'une tendance
internationale continue en faveur d'une acceptation sociale et d'une
reconnaissance juridique accrues.
Nous avons vu dans de
précédents arrêts novateurs que la Cour européenne peut s'écarter
de ses doctrines juridiques et de sa jurisprudence antérieure
lorsque cela est nécessaire pour garantir que les droits deviennent
effectifs et non illusoires, pour refléter les évolutions de la
société et pour garantir les droits des groupes marginalisés et
vulnérables. Nous attendons une décision de la Grande Chambre qui
s'écartera fondamentalement de la jurisprudence antérieure sur la
psychiatrie forcée, afin de garantir l'égalité et la plénitude
des droits des personnes avec des handicaps psychosociaux en Europe.
La CDPH remet en question des
traditions juridiques séculaires. Le commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe a donné des directives importantes
sur la manière d'aller de l'avant et souligne qu'une lecture des
articles pertinents de la Convention européenne reflétant
l'évolution fondamentale des attitudes au niveau mondial apparait
nécessaire et qu'une telle évolution serait pleinement conforme à
la jurisprudence établie de la Cour.
Cette année, qui marque le
75e anniversaire du Conseil de l'Europe, est l'occasion de réaliser
des progrès significatifs dans la protection des droits de l'homme
des personnes avec handicap psychosocial. Il faut aller de l'avant
avec la synergie de la Cour, des autres parties prenantes du Conseil
de l'Europe, des INDH et surtout avec la participation des personnes
avec handicaps psychosociaux, des survivants de la psychiatrie forcée
et de leurs organisations. Dans le processus de mise en œuvre, les
États et le Conseil de l'Europe devraient s'appuyer sur l'expertise
des OPH, des organes compétents des Nations unies et du Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, pour obtenir une
assistance technique et des conseils. La formation des professionnels
du droit et des magistrats est cruciale. Le changement de paradigme
nécessitera l'initiation de changements fondamentaux de la
législation et de la jurisprudence nationales, ainsi que la mise en
place de mécanismes de réparation. Des transformations
considérables qui peuvent sembler écrasantes et impossibles, mais
qui sont nécessaires de toute urgence, réalisables et pour
lesquelles il vaut la peine de se battre.
Je vous remercie.
« Cela semble toujours
impossible jusqu'à ce que ce soit fait » - Nelson Mandela
« Un autre monde n'est pas
seulement possible, il est en route. Par temps calme, je peux
l'entendre respirer » - Arundhati Roy