jeudi 5 octobre 2023

Psychiatrie forcée: le déni de la réalité par le gouvernement français

Analyse par Luc Thibaud.

Le déni de la réalité est une forme de non-sens: cela conduit à agir de façon inappropriée, et cela aboutit à l'échec et à l'abaissement.

Le 20 Août 2021, le délégué ministériel à la psychiatrie, s'exprimant à l'ONU dans le cadre de l'examen de la France par le comité de la Convention CDPH, nous a offert une parfaite illustration du déni de la réalité tel qu'il est pratiqué par sa corporation, par le gouvernement et par les lois même de santé mentale en France. C'est en 59:20, là: https://media.un.org/en/asset/k14/k14eaz3csx


Extrait:

"En réponse à la question portant sur l'article 14, 'Quand la France prévoit-elle l'abolition des hospitalisations sous contrainte ?' la délégation française souhaite apporter plusieurs éléments de réponse, et préciser des notions issues du droit français.
D'abord, il n'existe pas, juridiquement, en France, d'hospitalisation sous contrainte. Il existe des soins sans consentement, ce qui est très différent.
En effet, dans le droit français, aucun soin n'est possible sans le consentement éclairé de la personne.
Aussi ce n'est pas le refus de la personne qui fonde la démarche de soins sans consentement, ce qui serait alors de la contrainte, et c'est interdit en France, ce qui fonde la démarche, c'est la nécessité de soins urgents, auxquels une personne est dans l'incapacité temporaire de consentir, du fait de l'altération de son discernement, consécutif à des troubles psychiques. Et cela renvoie au droit fondamental de préservation de la santé. Ceci exclut donc et c'est très important, les situations non urgentes et les situations de handicap psychosocial stabilisé, chez lesquelles le recours aux soins sans consentement sont interdits. La procédure de soins sans consentement doit rester l'exception..."


Notre analyse

"Il n'existe pas..." Le déni de la réalité est brutal: aujourd'hui en France, les personnes sont arrêtées violemment avec la police et les chiens, les menottes, et quelquefois une cohorte de médecins, de pompiers, de policiers, avec humiliations publiques et dégâts. Les motifs sont arbitraires, disproportionnés: par exemple une expression de mal-être au téléphone, une plainte de voisinage, un syndrome de sevrage de médicaments. Les médications sont forcées et pratiquées sous la menace de contention et isolement. Le traumatisme est immense [Priebe 1998]. Les "programmes de soins" sont réalisés sous la menace de ré-hospitalisation et de nouveaux traumatismes: la haute autorité de santé, en complet non-sens, ose appeler cette forme d'intimidation violente une "relation thérapeutique" dans son guide sur la pratique.

"L'incapacité temporaire de consentir" ne l'est pas, mais simplement la personne refuse les propositions de médicalisation violente des demandes psychosociales la concernant. Ce n'est pas une incapacité, mais le vol de son agentivité par la pathologisation de la personne dans le cadre de la psychiatrisation, et le refus des aménagements nécessaires aux situations de conflit, de stress et de perte des moyens de la personne. Ce n'est pas temporaire mais c'est, en réalité, une dégradation sociale faite de privation de la capacité juridique et de fichage [HOPSYWEB]. Cela suppose de briser la volonté de la personne afin qu'elle consente, au moins en apparence, et cela passe par la conversion, c'est-à-dire l'adhésion au processus de pathologisation, et la sombre comédie obligatoire du mieux-aller sous intoxication et sédation médicamenteuse forcée. La date de sortie n'est pas connue. C'est dire que cette conversion s'obtient au moyen d'un procédé qui, selon nous, remplit les critères de la torture [Minkowitz 2015].

Ce n'est pas la "nécessité de soins urgents". La torture n'est pas un soin. La prétention à la nécessité repose sur le monopole médical revendiqué pour aborder les demandes psychosociales, et sur la négation des approches non-médicales.

"L'altération du discernement, consécutif à des troubles psychiques" est une projection pathologisante qui signifie en clair que le praticien et la personne n'ont pas la même opinion sur l'approche à mettre en œuvre face à la demande psychosociale la concernant. En psychanalyse, on parlerait de contre-transfert négatif. Les "troubles psychiques" représentent dans ce procédé la pathologisation de la psyché de la personne dont l'opinion est différente de celle du médecin. C'est l'instrumentalisation de la médecine destinée à nier l'agentivité de la personne.

Le délégué invoque "la préservation de la santé." On ne préserve pas la santé en traumatisant une personne par des tortures infligées au moyen de produits neurotoxiques qui donnent des mouvements anormaux et de l'akathisie, qui rétrécissent son cerveau, qui créent des dépendances lourdes, qui réduisent son espérance de vie, et de procédures qui mettent sa vie en danger comme la contention. On ne préserve pas la santé en endoctrinant sans preuve la personne et ses proches dans l'idée désespérante d'une maladie constitutionnelle qui nécessiterait une intoxication médicamenteuse à vie, ni en l'intronisant dans une forme de sous-citoyenneté infantilisée. Les hospitalisations forcées se traduisent par des suicides, dans des proportions extrêmes [Hjorthøj 2014]. La santé est un bien-être qui suppose en premier lieu le respect des droits de la personne, et non son viol par le déni de la capacité juridique et les tortures médicalisées.

"Ceci exclut ... les situations non-urgentes et les situations de handicap psychosocial stabilisé"

"Les situations non-urgentes": l'urgence n'existe pas dans les programmes de soins. Elle n'existe pas non plus après quelques jours d'hospitalisation, mais dans ces deux cas, la violence médicale se poursuit.

"Les situations de handicap psychosocial stabilisé": l'expression est un non-sens. On ne "stabilise" pas un handicap, car le handicap est la conséquence des empêchements sociaux, mais plutôt on garantit les droits humains d'une personne avec handicap, en changeant la société si c'est nécessaire: c'est le modèle social du handicap [Guide CDPH, p.10]. La "stabilisation des symptômes" est un concept lié à la médicalisation des demandes par la camisole chimique, et une telle approche n'est ni unique ni obligatoire. Elle viole les droits de la personne, car l'information correcte sur les alternatives n'est généralement pas fournie, et le consentement a pu être obtenu par la non-information, la désinformation, la torture, la menace et les intimidations.

"La procédure de soins sans consentement doit rester l'exception": La procédure judiciaire concernait 78401 personnes en 2021 en France [Coldefy 2022]: ce n'est donc pas une exception. Mais le principe du consentement libre et éclairé est violé à une échelle bien plus grande. Diverses formes de maltraitance médicale sont pratiquées dans les établissements médico-sociaux dans une quasi-complète opacité: en particulier la privation de liberté et le droguage. Les enfants en institution et hors institution sont victimes de maltraitances médicales à grande échelle: droguage, stigmatisation, ségrégation. L'information nécessaire au consentement éclairé n'est quasiment jamais fournie: la médicalisation des demandes psychosociales se pare d'une vitrine prolifique constituée pour une large part de présupposés, de postulats et de théories auxquels chacun est libre d'adhérer ou non, mais la pathologisation a priori des pensées, des ressentis et des comportements des personnes n'a pas prouvé sa pertinence [Rajkumar 2013]. Les conséquences des procédures mises en œuvre, comme l'électrocution cérébrale et les intoxications médicamenteuses chronicisées appelées chimiothérapies, les dépendances fabriquées, les modifications neuronales [Chouinard 2017] et les lésions induites, les procédures de sevrage médicamenteux et leur difficulté ne sont pas correctement présentées. La nature psychosociale des demandes, les choix possibles et les alternatives non-médicamenteuses sont rarement présentés.

 

Conclusion

La médicalisation et la judiciarisation des crises psychosociales traumatisent les personnes, fabriquent et entretiennent le handicap dans la chronicité. Au lieu de cela, pratiquer la désescalade, assister les personnes dans la défense de leurs droits humains (définis par la Convention CDPH), résoudre les conflits éventuels dans lesquels elles sont impliquées, et leur offrir un soutien communautaire dans la diversité des cultures [Minkowitz 2021].

 

Notre pétition :

Nous demandons la mise en œuvre des lignes directrices pour la désinstitutionalisation (CRPD/C/5), l'arrêt immédiat de toutes les formes de psychiatrie forcée, et la mise en œuvre des réparations pour violations graves et flagrantes des droits des personnes, adultes et enfants.



Références:

  1. Evaluation de la France le 20 août 2021 par le comité des droits des personnes handicapées de l'ONU.
    https://media.un.org/en/asset/k14/k14eaz3csx
  2. La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) de l'ONU.
    https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ConventionRightsPersonsWithDisabilities.aspx
  3. Le guide de la convention. Réf. HR/P/PT/19.
    https://digitallibrary.un.org/record/417493?ln=en
  4. Haute Autorité de Santé. Programme de soins psychiatriques sans consentement. Mise en oeuvre. Outil d'amélioration des pratiques professionnelles. 2021.
    https://www.has-sante.fr/jcms/p_3260568/fr/programme-de-soins-psychiatriques-sans-consentement 
  5. Priebe, Stefan & Bröker, Matthias & Gunkel, Stefan. (1998). Involuntary admission and posttraumatic stress disorder in schizophrenia patients. Comprehensive psychiatry. 39. 220-4. 10.1016/S0010-440X(98)90064-5.
    https://www.researchgate.net/publication/13608566_Involuntary_admission_and_posttraumatic_stress_disorder_in_schizophrenia_patients
  6. Hjorthøj CR, Madsen T, Agerbo E, Nordentoft M. Risk of suicide according to level of psychiatric treatment: a nationwide nested case-control study. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2014 Sep;49(9):1357-65. doi: 10.1007/s00127-014-0860-x. Epub 2014 Mar 18. PMID: 24647741.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24647741/
  7. Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie: un objectif de réduction qui reste à atteindre. M Coldefy, C Gandré, S Rallo - Questions d'économie de la santé, 2022.
    https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/269-les-soins-sans-consentement-et-les-pratiques-privatives-de-liberte-en-psychiatrie.pdf
  8. Rajkumar AP, Brinda EM, Duba AS, Thangadurai P, Jacob KS. National suicide rates and mental health system indicators: an ecological study of 191 countries. Int J Law Psychiatry. 2013 Sep-Dec;36(5-6):339-42. doi: 10.1016/j.ijlp.2013.06.004. Epub 2013 Jul 17. PMID: 23870280.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23870280/
  9. Chouinard G, Samaha AN, Chouinard VA, Peretti CS, Kanahara N, Takase M, Iyo M. Antipsychotic-Induced Dopamine Supersensitivity Psychosis: Pharmacology, Criteria, and Therapy. Psychother Psychosom. 2017;86(4):189-219. doi: 10.1159/000477313. Epub 2017 Jun 24. PMID: 28647739.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28647739/
  10. Tina Minkowitz. Forced Psychiatry is Torture. Mad In America, 2015.
    https://www.madinamerica.com/2015/04/forced-psychiatry-torture/
  11. Décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement. Légifrance.
    https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036936873
  12. Lignes directrices pour la désinstitutionnalisation, y compris dans les situations d’urgence. CRPD/C/5.
    https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRPD/C/5
  13. Minkowitz Tina, Reimagining Crisis Support: Matrix, Roadmap and Policy. 2021. ISBN 978-1-7377370-0-1
    https://www.reimaginingcrisissupport.org/
  14. Notre pétition.
    https://www.change.org/p/abolir-l-hospitalisation-forc%C3%A9e-et-le-traitement-forc%C3%A9

2 commentaires:

  1. Force est de constater des stratagèmes d'évitement adoptés par les acteurs étatiques dans la réponse à la liste des questions posées par la comité des droits des personnes handicapées de l'ONU lors l'évaluation de la France 18, 20 et 23 août 2021. Alors que le Comité attendait dans cette évaluation complexe des communications sur les objectifs poursuivis en conformité aux articles de la Convention et les recommandations dans les observations finales, surtout de 2017 lors de visite de la Rapporteurs Spéciale de la CDPH du 03 au 13 octobre, les acteurs étatiques ont réduit la logique de l'évaluation à la logique du bilan, en inondant le comité par des données statiques et par des réponses sur ce qui est fait, ce qui est entrain de se faire et ce qui va se faire sans lien avec les objectif de l'évaluation. Il y avait ni réponse ni interactions avec le comité à la base de ses questions pertinentes. Les acteurs ont interagit avec leurs récits comme des évidences et non avec les questions posées. L'hypothèse que l'évaluation leur a fait peur est une autre histoire.

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    1. Dépsychiatriser: Merci de cet éclairage.

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