Article posté originellement sur le blog BizOMadness, écrit par Bonnie Burstow, universitaire, activiste.
Divers textes des Nations Unies ont commenté le traitement forcé, l'enfermement sous contrainte, ou les deux (pour plus de détails, voir Burstow, 2015a), et un certain nombre de compléments vraiment importants à la loi internationale se sont matérialisés. Le plus important est sans doute la Convention Relative aux Droits des Personnes Handicapées. Qu'est-ce qui la rend si importante? Pour une part, le fait que cette convention historique prévoit rien de moins qu'une interdiction totale du traitement non consenti et de l'enfermement non consenti des personnes qui n'ont enfreint aucune loi.
Pour souligner quelques passages pertinents, l'article 12 de la CDPH stipule que : « les États parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique sur un pied d'égalité avec les autres dans tous les aspects de la vie ». De même, l'article 14 stipule :
Les États parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur un pied d'égalité avec les autres:
1. Profite du droit à la liberté et à la sécurité de la personne
2. Ne soient pas privées de leur liberté illégalement ou arbitrairement ... et que l'existence d'un handicap ne justifie en aucune façon une privation de liberté.
Également significatives, les directives fournies clarifient que l'interdiction du traitement forcé et de l'internement non consenti doivent être considérées comme absolue (Guidelines on article 14).
En d'autres termes ce que nous avons ici n'est rien de moins qu'une percée colossale.
Conformément à la percée de la CRPD, le CHRUSP (Centre pour les droits humains des usager·e·s et des survivant·e·s de la psychiatrie) a lancé un appel à l'action en faveur de l'interdiction (absoluteprohibition.org). Je soutiens fermement cette campagne à la fois en tant qu'être humain·e·en général et en tant qu'abolitionniste de la psychiatrie – d'où cet article.
Tout d'abord, permettez-moi de dire que peu importe que l'on soit ou non abolitionniste de la psychiatrie, que l'on considère que les principes et les approches de la psychiatrie soient valables, ou qu'on les considère à la fois sans fondement et intrinsèquement dommageables, nous avons la responsabilité simplement en tant qu'êtres humain·e·s de trouver un moyen de soutenir ce genre de campagnes. Lorsque des droits fondamentaux tels que le droit de décider ce qui entre ou non dans son propre corps et le droit de ne pas être interné·e·s dans une institution psychiatrique sont en jeu, nous avons tou·te·s l'obligation morale de faire quelque chose pour corriger la situation. Comment peut-on accepter de passer outre le droit des gens de prendre des décisions pour elleux-mêmes? D'empêcher les gens d'aller et venir librement, surtout quand iels n'ont pas enfreint la loi? La privation de ces droits ne peut pas non plus être justifiée par des revendications (ce qui suit en constitue quelques exemples standards) comme le fait que la personne n'ait pas la capacité de prendre des décisions pour elle-même ou qu'elle soit dangereuse pour elle-même ou pour autrui. Comme noté dans Burstow (2015b), tandis que les gens peuvent sans doute avoir besoin d'aide pour prendre des décisions, l'incapacité en soi est une construction institutionnelle circulaire; et outre qu'il soit indéfendable de priver les gens de liberté sur la base de prédictions, les élites impliquées dans de telles décisions (lire: les professionnel·le·s psychiatriques) n'ont pratiquement aucune capacité dans la prédiction de la dangerosité. Ni personne d'autre d'ailleurs.
Tout dans cette cause est juste, une libération de l'oppression est en jeu, et indépendamment de toutes les différences dans nos compréhensions respectives de la psychiatrie, il y a une raison suffisante pour nous tou·te·s de faire de la campagne actuelle une priorité. Je m'associe donc avec enthousiasme à des responsables comme Tina Minkowitz (voir) en incitant les gens à s'impliquer.
Cela dit, alors que la campagne en question est une grande responsabilité pour nous tou·te·s, et que mon but principal dans cet article est de défendre cela, je voulais de plus faire ce qu'aucun·e autre écrivain·e à ce jour n'a fait – démêler la signification spéciale que la CDPH et les campagnes de ce type détiennent particulièrement pour celleux d'entre nous qui sont abolitionnistes, que cela soit accidentel ou non. Ce qui est particulièrement pertinent ici est le modèle d'attrition de l'abolition de la psychiatrie. Qu'est-ce donc que le modèle d'attrition de l'abolition de la psychiatrie? Et en tant qu'abolitionniste me référant au modèle d'attrition, comment comprendre la campagne actuelle?
Prédit sur le fait que l'abolition de la psychiatrie est un processus et une direction par opposition à un objectif qui peut être rapidement atteint, le modèle d'attrition de l'abolition de la psychiatrie, tel qu'articulé dans Burstow (2014) et adopté par la Coalition Against Psychiatric Assault [Coalition contre l'agression psychiatrique] (voir) est un modèle permettant de déterminer les actions et les campagnes à soutenir et les priorités. Un des principes opérant est que le soutien actif repose sur la capacité ou la tendance de l'action ou de la campagne à faire avancer la société vers l'abolition. Les questions suivantes sont déterminantes pour le modèle:
1) En cas de succès, l'action ou les campagnes que nous envisageons nous rapprocheront-elles de l'objectif à long terme de l'abolition de la psychiatrie?
2) Sont-elles susceptibles d'éviter d'améliorer ou d'ajouter une légitimité au système actuel?
3) Evitent-elles d'élargir le filet de la psychiatrie? (Burstow, 2014, p. 39).
Encore une fois, tout en insistant sur le fait que l'appel du CRSHP à la mobilisation est urgent et nécessaire pour les raisons déjà indiquées, le degré de priorisation d'un modèle d'attrition abolitionniste dépendra des réponses à ces questions. Y a-t-il des «réponses oui» aux questions ci-dessus? Permettez-moi de suggérer, que bien qu'à des degrés divers, pour les trois questions, c'est le cas.
Pour les aborder une à une, en commençant par la première question, toute mesure qui abolit sans équivoque tout aspect intégral de la psychiatrie amène la société manifestement vers l'abolition. D'où l'établissement de priorités par la Coalition Against Psychiatric Assault [Coalition contre l'agression psychiatrique], par exemple, la suppression de certains «traitements» (par ex., les électrochocs). Et cette campagne vise-t-elle l'abolition de quelque chose qui fait partie intégrante de la psychiatrie? Évidemment oui - tout recours à la force et à la coercition. En tant que tel, le premier critère est satisfait.
Ce qui nous amène à la deuxième question: la campagne est-elle susceptible d'éviter d'améliorer ou d'ajouter de la légitimité au système actuel? C'est la plus délicate des questions, car on pourrait faire valoir que le système psychiatrique serait amélioré en devenant moins coercitif. Cela dit, je crois que l'élimination de la coercition ne constitue en aucun cas un endossement de la psychiatrie et pourrait en fait fonctionner de façon exactement opposée, c'est-à-dire qu'elle pourrait amener les gens à se demander: comment pourrait-on faire autrement? Il se pourrait même, avec le temps, que cela culmine dans un questionnement plus général de la psychiatrie - surtout une fois qu'il est démontré que l'élimination de la coercition peut être accomplie sans que pléthore de conséquences horribles ne s'ensuivent.
Enfin, troisième question: la campagne en question évite-t-elle d'élargir le réseau de la psychiatrie? (traduction : si la campagne était couronnée de succès, éviterait-elle de ne pas permettre à la psychiatrie de conquérir de plus en plus de gens?)? Ici, la réponse est un oui retentissant. Le fait est que si cette campagne réussissait, non seulement elle n'élargirait pas le réseau de la psychiatrie, mais elle le réduirait de façon manifeste, permettant à tous celleux qui sont contre d'échapper complètement à la psychiatrie.
Ce qui découle de cette analyse est que cette campagne est en accord avec les principes abolitionnistes. Et en tant que tel, la priorisation de cette campagne est un acte naturel à envisager pour les groupes abolitionnistes.
Remarques résumées, invitations, suggestions et avertissements
Un pas très important a été fait par les Nations Unies lors de l'adoption de la CDPH. Pour la première fois dans l'histoire, il y a une clarification juridique internationale selon laquelle les survivant·e·s de la psychiatrie doivent jouir des mêmes droits que tout le monde, c'est-à-dire que la coercition est absolument interdite. Ce n'est pas simplement «n'importe qu'elle» organisation prenant cette position, qui plus est il s'agit d'une gigantesque organisation dominante qui exerce un poids moral et juridique. En conséquence, une campagne importante est en cours pour soutenir l'interdiction absolue, un point crucial pour la CDPH. Ce qui a été montré dans cet article est que la priorité de cette campagne a un sens à la fois sur un niveau fondamental des droits de l'humain·e·s et, en outre, au niveau de l'abolition de la psychiatrie. Étant donné le prestige des Nations Unies et étant donné que de nombreux pays ont déjà signé et même ratifié la Convention, unir explicitement cette campagne à la Convention elle-même est en soi pragmatique.
J'espère, par conséquent, que beaucoup adhéreront à cette campagne et se joindront à nous pour la promouvoir activement. S'il vous plaît, envisagez de contribuer par des articles et des illustrations sur le site Web CHRUSP. S'il vous plaît, parlez-en à d'autres. Peut-être créez des événements éducatifs. Si votre pays n'a pas signé la Convention, si elle n'a pas ratifié la Convention, si elle a ajouté une restriction ou si elle est simplement en situation de non-respect, vous ou votre groupe pourriez peut-être prendre les devants pour dénoncer le problème. Nous avons ici une occasion de changement – et j'espère que suffisamment de gens affronteront toutes les peurs qui les retiennent et tenterons de saisir cette chance. Non pas que gagner ce combat sera facile, car les pays ont l'habitude d'ignorer/éluder le droit international, y compris les obligations contractuelles qui se rapportent au fait d'être signataires d'une convention. Autant de raisons de redoubler nos efforts.
Le plus grand obstacle que nous sommes susceptibles de rencontrer est la peur qu'ont les gens de la dangerosité. Soyez prêt·e·s à y répondre. Sans doute, le deuxième plus grand obstacle est le sentiment que les personnes vulnérables vont être laissées à l'abandon. En en parlant à d'autres, il faut souligner que la CDPH est claire sur le fait que des soutiens doivent être offerts. En fait, si nous procédons correctement, l'ère de la CDPH pourrait bien devenir l'ère où un nombre sans précédent d'options de soutiens nouvelles et passionnantes se concrétiseront pour les gens – et, bien entendu, pour les gens volontaires. A cet égard, contrairement à ce qui est courant et je dirais à la fourbe équation de la psychiatrie et des services, d'autant que le «service» et la «coercition» sont des catégories plus ou moins exclusives, la mainmise exercée par la psychiatrie n'est-elle pas en elle-même l'un des principaux facteurs responsable de la pénurie de services?
Pour terminer, je commenterais brièvement un hic. Si cette campagne réussissait - et oui, il s'agira certainement une lutte acharnée – la réponse probable de la psychiatrie sera d'intensifier la désinformation concernant ses «traitements». Le fait est qu'ici l'avenir de la psychiatrie serait alors plus dépendant de la crédulité individuelle; et comme nous le savons, la psychiatrie institutionnelle, hélas, n'a pratiquement aucun scrupule à propos de la désinformation.
Maintenant, certain·e·s peuvent penser que ce dernier point est un faux problème ou un point mineur car la CRPD spécifie explicitement que le consentement «éclairé» est nécessaire. Pour être claire, elle le fait effectivement, mais il en est de même pour presque toutes les lois sur la «santé mentale» dans le monde et cela n'a eu aucun impact sur la production en cours et toujours croissante et sur la diffusion de la désinformation psychiatrique. Aussi ironique que cela puisse paraître, il en résulte qu'en cas de succès, une surveillance plus forte et des brides plus fortes sur la psychiatrie seraient absolument nécessaires.
Une question épineuse pour sûr, mais rien que nous n'ayons déjà connu.
* CHRUSP est l'acronyme de « Center for the Human Rights of Users and Survivors of Psychiatry », qui peut se traduire en français par « centre pour les droits humains des usager·e·s et survivant·e·s de la psychiatrie. Leur site internet : www.chrusp.org
Burstow, B. (2014). The withering of psychiatry: An attrition model for antipsychiatry. In B. Burstow, B. LeFrançois, & S. Diamond (Eds.), Psychiatry disrupted (pp. 34-51). Montreal: McGill-Queen’s University Press.
Burstow, B. (2015a). Canada—A Human Rights Violator (see http://bizomadness.blogspot.ca/2015/09/canada-human-rights-violator.html)
Burstow, B. (2015b). Psychiatry and the business of madness: An ethical and epistemological accounting. New York: Palgrave.
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Traduction faite par le blog zinzinzine: http://www.zinzinzine.net/appel-a-mobilisation-chrusp-et-son-importance.html
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