Le collectif a soumis un rapport parallèle pour la France au Comité de la Convention contre la torture de l'ONU. Voici la traduction française.
1) Introduction
Le Collectif « Arrêt des Traitements Forcés » est une organisation informelle d’usagers et ex-usagers de la psychiatrie francophones [1]. Notre objectif est l’abolition de la psychiatrie forcée en France et dans le monde. Le Collectif a soumis des contributions par le passé au Comité de la Convention Droits des Personnes handicapées, au Comité de la Convention Droits de l’Enfant, au Bureau du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme et à l’Organisation Mondiale de la Santé.
2) Le mécanisme du protocole optionnel de la Convention contre la Torture appelé en France « Contrôleure générale des lieux de privation de liberté » ou CGLPL ne visite pas les institutions où existe la privation de liberté.
En France, en 2022, 153 000 personnes handicapées vivaient dans les institutions appelées « Établissements médico-sociaux » ou EMS, adultes et enfants [2]. 590 000 personnes âgées vivaient dans les institutions appelées « Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » ou EHPAD [3]. La plupart, sinon toutes ces institutions pratiquent des formes de privation de liberté. Dans les faits, en France, un adulte sous tutelle n’a pas de recours légal effectif pour quitter ces institutions contre la volonté du tuteur. Malgré cela, la CGLPL considère que ces institutions se situent en dehors de son mandat et ne les visite pas [4].
En France, un million de personnes sont placées sous des régimes de prise de décision substitutives, tutelle et curatelle ; mais les statistiques précises sont difficiles d’accès [5].
Nous demandons que la loi « LOI n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 », soit changée afin que la CGLPL visite effectivement ces institutions.
3) Tortures et traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants perpétrés par la psychiatrie institutionnelle et dans les institutions en France
Dans une étude de 2022, en France, 80 000 personnes ont été hospitalisées de façon forcée dans des structures psychiatriques chaque année pour « avoir un trouble mental », comme l’exprime la loi française aux articles L3211-1 à L3211-13 du Code de santé publique. C’est appelé des « soins sans consentement ». 25 000 personnes ont été placées en chambre d’isolement dans les hôpitaux psychiatriques chaque année. De plus, 95 000 personnes ont été sujettes à des traitements forcés dans la communauté chaque année, c’est appelé « programmes de soins », et ces personnes vivent sous la menace explicite d’une re-hospitalisation forcée [6].
La France a 640 lits dans des institutions psychiatriques de sécurité, appelées « Unités pour malades difficiles UMD » [7].
Selon les statistiques de l’IRDES, 8000 personnes ont été placées sous contention mécanique dans les structures psychiatriques en 2022, mais cela est peut-être sous estimé [8].
Le nombre de personnes placées sous sédation lourde ou traitements invalidants n’est pas connu.
Le nombre de décès liés aux contentions et aux sédations lourdes ou aux traitements invalidants n’est pas connu.
Le nombre de personnes âgées placées sous contention dans les institutions EHPAD n’est pas connu.
Le nombre de personnes, adultes et enfants, placés sous sédation lourde ou confinés dans les institutions EMS n’est pas connu.
4) Les personnes sont traumatisées par les hospitalisations psychiatriques forcées
Nos membres décrivent comment des personnes calmes et non dangereuses sont traitées avec les pompiers, la police, les chiens, les menottes, la contention sur des civières dans les couloirs des urgences, quelquefois pendant des jours [10]. La violence psychiatrique est telle que nous connaissons plusieurs personnes qui n’ont jamais pu comprendre ce qui leur était arrivé. Quand les personnes se plaignent ou se sentent stressées et perdent leur calme, elles sont considérées comme « dans le déni des troubles », ou « dans un délire de persécution » ou « dans une psychose maniaque » et ce sont des motifs pour imposer davantage de coercition et de punitions, dans un engrenage circulaire. Les personnes sont traitées de façon pire que des criminels, pourtant sans avoir commis de délit, et sans que la durée de leur peine ne soit connue. Le seul moyen d’en sortir semble d’être la soumission, ne jamais se plaindre, se confesser d’avoir le trouble mental, être sociable avec les autres patients, mais pas trop, et prétendre se trouver mieux grâce au traitement. Après cela, les personnes sont intimidées et menacées par la loi dans la soumission à une injection mensuelle de sédatifs lourds et invalidants, sans limitation de durée, c’est à dire pendant des années.
5) Traitement psychiatrique forcé des enfants, éducation sacrifiée, violence physique et sexuelle en institution et dans les familles d’accueil.
Selon le quotidien « Liberation », quatre sur dix enfants autistes sont placés sous médicaments psychiatriques [11]. Le « Haut conseil de la famille » tire l’alarme : « Pour les enfants, entre 2014 et 2021, les données mises à disposition par l’Assurance Maladie montrent une augmentation de la consommation de +48,54% pour les antipsychotiques ; +62,58% pour les antidépresseurs ; +78,07% pour les psychostimulants ; +155,48% pour les hypnotiques » [12]. Il nous a été rapporté que ces traitements psychiatriques de l’enfant peuvent être forcés, par exemple le produit neuroleptique risperidone a été donné à un enfant de quatre ans, et que les enfants sont sédatés en institutions pour le confort du personnel. Dans les institutions appelées « Instituts médico-éducatifs ou IME », les enfants ont seulement 6 heures de scolarisation par semaine, et sont exposés au risque de violences physiques et sexuelles [13][14]. Un cas récent de violence physique et psychologique, de travail forcé et de surmédication en famille d’accueil a été publié [15].
6) Des personnes contraintes à s’exiler pour échapper à la maltraitance et à la torture institutionnelle ou psychiatrique pratiquée en France
Il n’y a pas de statistiques. Mais le Collectif connaît plusieurs personnes qui ont choisi l’exil pour échapper à la maltraitance psychiatrique ou institutionnelle, aux traitements forcés ou à la torture psychiatrique en France, dont certaines ont la nationalité française. Ces personnes doivent faire face à des imbroglios bureaucratiques et perdent leurs droits.
7) Il n’existe pas de recours légal effectif
En pratique, le seul recours légal contre ces tortures psychiatriques qui serait effectif en France serait d’obtenir une expertise judiciaire psychiatrique certifiant que la personne n’a pas de trouble mental. Ensuite, porter plainte pour dommage corporel contre le directeur de l’hôpital psychiatrique dans l’espoir d’obtenir une compensation financière.
Le recours ultime, en France, qui est la Cour de cassation, a établi que le juge appelé « Juge des libertés et de la détention », qui supervise les hospitalisations psychiatriques forcées et les traitements forcés, ne doit baser sa décision que sur des certificats médicaux. C’est la jurisprudence référencée “Cass, 1re Civ, 27 septembre 2017, n°16-22.544”.
Les plaintes auprès de l’Ordre des médecins ne sont pas effectives.
Nos correspondants disent que le médiateur français appelé « Défenseur des droits » semble ignorer les plaintes quand elles émanent de personnes avec handicap psychosocial.
8) Nos demandes
Il nous semble légitime de demander si le traitement psychiatrique forcé des groupes sociaux comme le sont les personnes avec handicap psychosocial, les personnes autistes et les enfants représente un crime contre l’humanité [16].
Nous demandons :
- La reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (CRPD/C/GC/1).
- L’arrêt immédiat des hospitalisations forcées et des traitements forcés pour les adultes et les enfants (A/72/55, Annex).
- La désinstitutionnalisation et des réparations complètes (CRPD/C/5).
Références
1. Le site web du Collectif « Arrêt des Traitements Forcés » :
https://depsychiatriser.blogspot.com/
2. Les statistiques de l’INSEE, 2023
https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/001750383#Tableau
3. CNSA, « Les chiffres clés de l’aide à l’autonomie », 2022
https://www.cnsa.fr/sites/default/files/2024-02/PUB_cnsa_chiffres_cles_2022_access_exe_corrige-071022.pdf
4. CGLPL, « quel est son rôle »
https://www.cglpl.fr/son-role
5. Un million de personnes placées sous systèmes de prise de décision substititutive
https://solidarites.gouv.fr/mandataire-judiciaire-protection-des-majeurs-mjpm
6. « Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie :
un objectif de réduction qui reste à atteindre. » Magali Coldefy (Irdes), Coralie Gandré (Irdes, Hôpital universitaire Robert-Debré), avec la collaboration de Stéphanie Rallo (ARS Paca), 2022
https://www.irdes.fr/donnees/269-les-soins-sans-consentement-et-les-pratiques-privatives-de-liberte-en-psychiatrie.xls
7. F2RSM psy, « Les hospitalisations en unités pour malades difficiles de 2012 à 2021 »
https://www.f2rsmpsy.fr/fichs/30633.pdf
8. « Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements », IRDES, 2024.
https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/286-isolement-et-contention-en-psychiatrie-en-2022.pdf
9. Santé mentale France : « 42 décès dus à la contention mécanique dans les soins », 2020
https://www.santementale.fr/2020/11/42-deces-dus-a-la-contention-mecanique/
10. Doctissimo : « 10 jours attaché sur un brancard en psychiatrie », 2024
https://www.doctissimo.fr/sante/apres-10-jours-attache-sur-un-brancard-en-psychiatrie-un-patient-se-suicide-comment-expliquer-ce-drame/2fc504_ar.html
11. Libération, 2025, « Enfants et adolescents autistes : une génération sous cachetons »
https://www.liberation.fr/societe/sante/enfants-et-adolescents-autistes-une-generation-sous-cachetons-20250120_DKJPJXIPMFH5NIAOE3XGYLWPXM/
12. Haut Conseil de la famille, « Quand les enfants vont mal, comment les aider », 2023
https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/affiche_seminaire_hcfea_11_avril_2023.pdf
13. L’organization « Neurodiversité France » demande une enquête sur les institutions IME pour enfants.
https://laneurodiversite-france.fr/la-neurodiversite-france-demande-une-enquete-sur-le-tri-des-jeunes-admis-en-ime/
14. Le Parisien : « violences sexuelles au sein de l’Institut médico-éducatif (IME) de Draveil (Essonne), le combat d’un couple », 2025
https://www.leparisien.fr/essonne-91/draveil-le-combat-dun-couple-apres-le-viol-presume-de-leur-fille-dans-un-institut-pour-jeunes-handicapes-25-11-2024-M7RYSHWDBJFGTMJ3ULNZ2NF3QE.php
15. France Inter : « des mineurs placés illégalement par l’aide sociale à l’enfance », 2024
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-28-septembre-2024-5281457
16. « Forced treatment in psychiatry is a crime against humanity », Peter C. Gøtzsche, Jan 30, 2025 https://doi.org/10.70542/rcj-japh-art-1reghe8