jeudi 10 mai 2018

Appel contre le projet de protocole additionnel à la Convention d'Oviedo

A l'initiative de l’ENUSP (European Network of (ex)users and survivors of psychiatry - Réseau européen des (ex)usagers et survivants de la psychiatrie) qui est l'organisation représentative indépendante des usagers de services de santé mentale, ex-usagers et survivants de la psychiatrie au niveau européen et au nom de l’association Advocacy-France, adhérente de l’ENUSP, ainsi qu’au nom des associations et personnes signataires en France et en Europe.


Appel contre le projet de protocole additionnel à la Convention d'Oviedo


Qu'est-ce que le "Projet de protocole additionnel concernant la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux en matière de placement involontaire et de traitement involontaire" actuellement proposé par le Conseil de l'Europe ?

L'objectif de ce projet de protocole est de continuer à développer dans un instrument juridiquement contraignant les dispositions de l'article 7 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine et celles de l'article 5 § 1 (e) de la Convention européenne des droits de l'homme. En termes simples, l'objectif du projet de protocole est d'établir des normes pour les mesures forcées en psychiatrie et de les intégrer aux droits de l'homme tel qu'établis par le Conseil de l'Europe. Le texte précédent du projet de protocole daté de 2015 et les commentaires reçus lors de la consultation publique peuvent être consultés ici 1

Comment le projet de protocole a été initié:

La décision d'élaborer un instrument juridiquement contraignant en matière de "protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux en matière de placement et de traitement involontaires" a été prise sur la base des observations du Comité directeur pour la bioéthique (CDBI) qui a constaté des lacunes juridiques dans certains États membres du Conseil de l'Europe dans la mise en œuvre de la Recommandation (2004)10 concernant la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Cependant, cette recommandation a été élaborée avant la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées 2 ( (CDPH de l’ONU) et est basée sur des normes aujourd'hui obsolètes qui vont à l'encontre de la CDPH de l'ONU.

Pourquoi le projet de protocole additionnel est dangereux pour nos droits:
  • Le projet de protocole additionnel représente une tentative d'outrepasser les normes de la CDPH de l'ONU et de maintenir le statu quo en psychiatrie.

    Ce projet de protocole est très problématique en ce qui concerne la non-discrimination, l'égalité de reconnaissance devant la loi, la liberté et la sécurité des personnes, le droit à la santé et l'interdiction de la torture et des mauvais traitements.

    Le projet de protocole est en soi discriminatoire : seules les personnes atteintes de "troubles mentaux" peuvent être détenues de force pour des raisons de prévention des risques et être traitées sans leur consentement.

    L'approche globale tout comme le langage utilisé dans le projet de protocole additionnel reflètent l'ancien modèle bio-médical du handicap où les personnes étaient considérées comme des objets de soins plutôt que comme des titulaires de droits.

    Ce projet de protocole additionnel autorise la détention pour des raisons relatives à la santé mentale et des traitements psychiatriques non consensuels. Le titre même du projet de protocole contient des termes médicaux et fait référence au placement involontaire et au traitement involontaire comme s'il s'agissait d'une pratique normalisée et acceptable, ce qui est contraire à la CDPH de l’ONU, qui exige la fin du placement et du traitement involontaires en raison d’un handicap.

  • Le traitement et le placement involontaire sont considérés dans le projet de protocole comme une forme de "thérapie" ou de "soins".

    Le projet de protocole permet de refuser la communication de la personne avec sa personne de confiance et avec d'autres personnes et organismes, en disant simplement qu'une telle communication "ne doit pas être restreinte de façon déraisonnable". Il n'est pas nécessaire de vous dire que ce qui sera considéré "raisonnable" sera soumis à l'avis d'un psychiatre.

    Il y a eu un manque total d'implication et de consultation significative des organisations de personnes handicapées et en particulier des organisations représentant les personnes en situation de handicap psychosocial dans l'élaboration et la rédaction de ce document, contrairement à l'article 4 (3) de la CDPH de l’ONU.

    Ce projet de protocole va à l'encontre des dispositions de la CDPH de l’ONU et de son interprétation par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, ainsi que de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, dont la compétence est reconnue par tous les membres du Conseil de l'Europe lui-même.

Conséquences potentielles

Il est important de savoir que l'acceptation par les Etats membres du Conseil de l'Europe du projet de protocole additionnel entraînerait une confusion parmi les décideurs politiques et retardera considérablement, voire mettra un terme aux réformes en cours dans le domaine de la santé mentale. Par conséquent, il ne contribuera en aucun cas à la protection des droits humains des personnes atteintes de "troubles mentaux", mais soutiendra plutôt le statu quo caractérisé par des déséquilibres de pouvoir et la négligence continue des besoins réels des personnes atteintes de handicaps psychosociaux et conduira à la poursuite des violations des droits humains en psychiatrie. L'adoption du projet de protocole entraînerait également une confusion dans le domaine juridique en créant des normes contradictoires où les "droits de l'homme européens" seraient de moins bonne qualité que les normes internationales en matière de droits de l'homme. De nombreux tribunaux nationaux fondent leurs décisions sur des instruments de ce type approuvés par le Conseil de l'Europe, ainsi que sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont les décisions changeraient en conséquence au moment même où elles sont progressivement en train d'être fondées de plus en plus souvent sur des références directes aux dispositions de la CDPH de l’ONU.

Que peut-on faire ?

Après avoir consacré beaucoup de temps, d'efforts et de moyens financiers pour tenter d'influencer la rédaction de ce protocole additionnel avec d'autres alliés et parties prenantes depuis 2014, l'ENUSP est fermement convaincu qu'aucune amélioration du texte de ce projet de protocole additionnel ne peut changer la situation. Nous avons demandé à plusieurs reprises2 au Comité bioéthique du Conseil de l’Europe responsable de sa rédaction, en personne et par écrit, de retirer ce projet de protocole et de nombreuses autres organisations ont fait de même, y compris le Forum européen des personnes handicapées (FEPH), Santé Mentale Europe (SME), le HCDH, le Comité CDPH de l'ONU, le Rapporteur spécial pour les droits des personnes handicapées, le MDAC, Human Rights Watch, et bien d'autres encore. Malgré tous les arguments avancés, le Comité de bioéthique (DH-BIO) a continué à travailler sur le projet de protocole. Il semble clair à ce stade qu'aucun autre retour d'information et consultations ne peut améliorer le processus et qu'il est nécessaire de s'adresser à toutes les parties prenantes concernées aux niveaux national et européen, y compris nos membres directement.

La prochaine discussion du projet de protocole additionnel par le Comité de bioéthique (DH-BIO) est prévue du 23 au 25 mai 2018 en vue d'une décision de l'envoyer pour avis à d'autres organes/comités du Conseil de l'Europe. Les membres du DH-BIO ont été invités à envoyer leurs commentaires sur le projet de texte avant le 27 avril 2018. Après cette étape, l'Assemblée générale du Conseil de l'Europe se prononcera sur l'adoption ou non de ce projet de protocole additionnel avant la fin de cette année
Nous vous suggérons de contacter les membres du Comité de bioéthique de vos pays, sous toute forme appropriée et de leur faire savoir que le projet de protocole additionnel n'est pas compatible avec la CDPH de l'ONU et ne nous protégera pas contre la violation de nos droits. Vous trouverez ci-joint un projet de lettre comme suggestion sur le type d'arguments que vous pouvez présenter. En outre, il serait bon de s'adresser à d'autres acteurs dans vos pays, qui sont censés voter sur le projet de protocole additionnel ou peuvent nous rejoindre en tant qu'alliés, à savoir :

  • Représentant-es du Ministère de la Santé
  • Représentant-es du Ministère des Affaires Étrangères
  • Médiateur ou médiatrice de votre pays
  • Organisme national de prévention contre la torture dans votre pays
  • Conseils nationaux des personnes handicapées
  • Associations de personnes handicapées
  • Associations de juristes
  • Associations travaillant dans le domaine de la santé mentale
  • Associations travaillant en faveur des droits des personnes LGBTI
  • Toute autre association travaillant en faveur des droits de groupes fragilisés

La liste est ouverte et n'est donnée qu'à titre indicatif. Veuillez nous faire savoir si vous avez à l'esprit d'autres intervenants clés et potentiels à contacter.

Nous espérons que cette note vous a convaincus de la nécessité urgente de combattre ce « projet de protocole additionnel sur la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux en matière de placement involontaire et de traitement involontaire », car il représenterait un pas en arrière total par rapport aux progrès que nous avons déjà réalisés et que nous prévoyons de réaliser à l'avenir depuis l'adoption de la CDPH de l'ONU, comme la capacité juridique dans tous les cas, la liberté, le droit de ne pas être soumis à la torture et à d'autres mauvais traitements, et le droit à des soins de santé fondés sur le consentement libre et éclairé. ENUSP souligne que le projet de protocole additionnel doit être retiré et remplacé par un instrument qui soutient et conduit à la mise en œuvre complète de la CDPH de l’ONU en ce qui concerne son application aux soins de santé mentale et du soutien social dans toute l'Europe, y compris le passage de l'exclusion à l'inclusion et le passage de la coercition à de véritables soins de santé mentale.

Il ne devrait pas exister un système de droits de l'homme "à deux vitesses", en fonction de la CDPH de l’ONU et des instruments promulgués par le Conseil de l'Europe. Avec l'adoption éventuelle du projet de protocole additionnel, les gouvernements auraient une excuse formelle pour ne pas mettre en œuvre les réformes importantes encore nécessaires, permettant ainsi aux violations graves des droits de l'homme à l'encontre des personnes en situation de handicap psychosocial de se poursuivre et générant des conflits entre les différents systèmes juridiques régissant les droits de l'homme dans le monde entier.

Heureusement, le Portugal a officiellement déclaré qu'il ne votera pas en faveur de ce projet de protocole et est le seul État membre du Conseil de l'Europe à avoir présenté cette position jusqu’à présent. Toutefois, une fois qu'un État membre retire son soutien, il est beaucoup plus facile pour les autres États membres de faire de même.

ENUSP compte sur vous pour prendre d'urgence des mesures contre le projet de protocole dans votre pays et nous restons à votre disposition pour toute question ou tout soutien dont vous pourriez avoir besoin à cet égard.

S'il vous plaît, aidez-nous à défendre notre rêve européen partagé afin que chaque citoyen et citoyenne d'Europe puisse jouir pleinement de ses droits humains.

Olga Kalina
ENUSP - European Network of (Ex)Users and Survivors of Psychiatry
Vesterbrogade 103, 1.sal
1620 Copenhagen, Denmark

enusp.info@gmail.com / www.enusp.org
1 version française : https://www.coe.int/fr/web/bioethics/news/-/asset_publisher/EV74osp47zWZ/content/public-consultation-on-a-working-document?inheritRedirect=false
2 Pour plus d'informations sur la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées voir : http://www.ecoute.ch/files/upload/Convention%20ONU%20droits%20des%20personnes%20handicap%C3%A9es%20prise%20de%20position%20forom%20%C3%A9coute%20FAQ.pdf
2  Voir : Joint letter https://mhe-sme.org/statement-of-enusp-and-mental-health-europe-on-additional-protocol/

Et les réponses de l'ENUSP:
http://enusp.org/wp-content/uploads/2016/03/ENUSP_response-to-draft-Protocol-Oviedo_2017.pdf, http://enusp.org/wp-content/uploads/2016/03/ENUSP_response-to-draft-Protocol-Oviedo_involuntary-2015.pdf


Joignez vous à cette campagne pour la défense de nos droits. 
 
La campagne ENUSP: http://enusp.org/2018/04/18/enusp-started-campaign-against-the-draft-additional-protocol-to-the-oviedo-convention/

Le courrier adressé au Conseil de l'europe par les ONG:
European Disability Forum www.edf-feph.org
European Network of (Ex)-Users and Survivors of Psychiatry (ENUSP) www.enusp.org
Mental Health Europe www.mhe-sme.org
Inclusion Europe www.inclusion-europe.eu
Autism-Europe www.autismeurope.org
International Disability Alliance www.internationaldisabilityalliance.org
http://edf-feph.org/newsroom/news/disability-organisations-urge-council-europe-withdraw-addition-protocol-oviedo

La lettre ouverte adressée aux membres français du Comité de bio-éthique DH BIO du Conseil de l’Europe:
http://enusp.org/wp-content/uploads/2018/04/Lettre-aux-membres-fran%C3%A7ais-Comit%C3%A9-DH-BIO-26-04-18.pdf

Contactez ENUSP, Advocacy-France ou utilisez le formulaire de contact sur ce blog, colonne de droite.

D'autres articles:

Sur le blog Zinzin Zine: http://www.zinzinzine.net/contre-le-projet-de-protocole-additionnel.html

En Italie aussi: http://www.ilcappellaiomatto.org/2018/05/v-i-scriviamo-per-informarvi-sulla.html
#withdrawoviedo

2 commentaires:

  1. Au nom du Collectif Vérité et justice pour Nathalie, M'hamed EL Yagoubi soutient de façon active l'ensemble des mobilisations en cours pour faire barrage à cette entreprise criminelle qui se dessine à l'ombre dans une fête de déshumanisation au nom des droits de l'homme.

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  2. IMPERATIF : remplacer la torture psychiatrique par les Thérapies de Guérison !
    -------------

    Well, Chers Amis, ...

    Essayer de faire interdire l'hospitalisation et les traitements forcés est malheureusement un coup d'épée dans l'eau.

    Les gens, et les Autorités voient l'hospitalisation et les traitements forcés comme "moyen de défense" contre les violences occasionnelles des souffrants.

    Pour en finir avec hospitalisation et traitements forcés, il n'y a qu'un seul et un seul moyen: c'est d'aider les souffrants à "guérir" de leurs dites maladies mentales.

    Ne pas confondre rétablir avec guérir!

    Guérir, c'est pouvoir vivre à nouveau une vie naturelle et libre de toutes drogues psychiatriques, dans des études ou un job à temps plein, avec un cercle social d'amis, et la possibilité de rencontrer l'amour de sa vie avec qui fonder famille.

    De plus, une fois guéri, il n'y a pas de stigma!

    Respect pour nos impôts de parents-payeurs: bien appliquée, la guérison coûte de 15 à 30 fois moins cher que les traitements (forcés) de la psychiatrie existante.

    Comme 80 à 85 % des dites maladies mentales ont des causes psycho-sociales et pas médicales, il est bien sûr impératif de transférer 80 à 85% du budget de santé dite mentale vers le Département des Affaires Sociales.

    Les thérapies de guérison existent. Il faut donc les acquérir et les mettre en place, jusque dans les procédures d'assurance et de remboursement des thérapies.

    Voici une bibliographie, non-exhaustive, sur la Guérison des dites maladies mentales sans psychodrogues (médicaments), et téléchargeable depuis DropBox:

    https://www.dropbox.com/s/js748kbcl0gxvw4/Biblio_GUERISON_de_Maladies_Mentales_sans_psychodrogues_2020_04_09.pdf?dl=0

    Guérir, c'est être pro-humain!

    Luc De Bry, Ph.D.
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    "OPEN DIALOGUE" francophone, Guérison, Psychose, Schizophrénie, Bipolarité

    :-)

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